Deux mots d'étymologie
Le mot "corium" a été créé en accolant le suffixe "ium" que l'on retrouve à la fin de nombreux éléments atomiques non stables (radioactifs) par exemple l'Uranium (92U), le Plutonium (94Pu) etc. au préfixe "cor(e)", le cœur d'un réacteur nucléaire en anglais. Il a commencé à être utilisé après l'accident de Three Mile Island en 1979, les scientifiques ayant analysé en détail les circonstances de l'accident de cette première fusion d'un cœur de réacteur de production. Manifestement les savants atomistes ignoraient que le mot "corium" existait déjà en latin (couche interne de la peau, derme).
La définition technique
Le corium est un mélange de différents éléments - et non pas seulement du combustible comme on le croit souvent - qui ont fondu dans la cuve d'un réacteur nucléaire généralement à la suite d'un accident de criticité ("surchauffe").
Pas de corium sans accident de cœur !
Ce corium se forme rapidement après la perte totale et prolongée des moyens de refroidissement d'un réacteur nucléaire et plus particulièrement après la perte des réseaux électriques principaux et secondaires. Une perte totale d'énergie est appelée "blackout station", le réacteur est alors fortement ralenti par la montée ou la descente automatique des barres de contrôle mais la réaction nucléaire n'est pas pour autant stoppée nette.
Une partie du corium dite "pied d'éléphant" formée lors de l'accident de Tchernobyl en 1986
Il faut bien comprendre qu'un arrêt "d'urgence" (procédure "scram") ne stoppe pas complètement ni immédiatement un réacteur ; Une puissance dite "résiduelle", engendrée par la poursuite d'une partie de la réaction de fission nucléaire, nécessite le maintien des circuits de refroidissement d'une manière réduite mais continue. A défaut, la température et la pression commencent alors à croître rapidement dans le cœur, les pastilles de combustible s'échauffent, le niveau d'eau diminue dans la cuve et découvre un peu plus les "crayons", ce qui provoque un peu plus de chaleur, qui dégrade un peu plus les gaines protégeant les pastilles, etc.
Cette dégradation rapide du combustible ne peut être ralentie voire stoppée que par le rétablissement d'un refroidissement correct, et ce dans un délai maximum variant de quelques heures à quelques jours au mieux selon le type de technologie de l'unité de production. Sur les matériels d'ancienne génération comme l'unité n°. 1 de Fukushima Daiichi, le combustible à commencé à s'endommager et à fondre quelques heures à peine après l'apparition du "blackout station".
La fonte rapide des éléments du cœur sous l'effet d'une chaleur infernale
Les éléments du cœur se décomposent ensuite rapidement sous l'effet d'une chaleur intense et l'ensemble finit par former un magma porté à environ 2800° C mais qui présente la singularité de s'auto-entretenir. On a souvent comparé le corium à de la lave ou du magma, ce n'est pas tout à fait exact car le corium puise sa température de l'intérieur alors qu'une coulée de lave finit par s'éloigner pour finalement se détacher de sa source d'énergie ; La lave se trouve finalement isolée thermiquement et refroidit relativement rapidement.
La pastille de combustible : Une énergie incroyable sous une forme extrêmement concentrée
D'où le combustible puise t-il cette énergie incroyable ? Il faut savoir qu'une simple "pastille" de 7 g de combustible dégage autant d'énergie qu'une tonne de charbon dans un volume extrêmement restreint ; Un crayon de combustible est composé de 360 pastilles ; Un assemblage contient 60 crayons et un cœur contient de 400 (réacteur 1) à 548 (réacteurs 2 et 3) assemblages soit un total de 8,6 millions à 11,8 millions de pastilles par réacteur !
Le corium créé lors de l'accident de Fukushima
Quelle est l'importance de la masse du corium à Fukushima Daiichi ? Elle est estimée à environ 50 tonnes dans le réacteur 1 et environ 2 fois plus dans les réacteurs 2 et 3, plus puissants donc comportant plus de combustible.
L'opérateur Tepco ayant reconnu - très tardivement - que les 3 cœurs ont intégralement fondu, il s'agit donc d'environ 250 tonnes de combustible + les éléments environnants (barres de commande, fixations, éléments de contrôle...) localisés - à ce jour - dans un espace indéfini mais compris dans le meilleur des cas entre le bas de cuve RPV (c'est assez peu probable) et l'affleurement de la nappe océanique sous le site de Fukushima, quelques dizaines de mètres sous les réacteurs.
Il s'agit du plus gros accident de combustible jamais rencontré avec des masses de corium estimées entre 250 et 500 Tonnes sur l'ensemble des 3 réacteurs concernés.
Et ensuite, une fois le corium créé ?
Voilà ou l'histoire se corse : Le corium est relativement facile à créer - une simple perte de refroidissement de quelques heures comme à Fukushima suffit - mais du fait de sa puissance thermique très élevée et d'un poids volumique très important (effet de regroupement, pensez à du mercure incandescent), le corium perce tout ce qui se trouve sous lui. Il vaporise tout, cuves de réacteur (il en existait 2 à Fukushima), béton, roche avec une vitesse de progression variable de quelques cm à quelques mètres par jour.
L'enfer de Tchernobyl stoppé par... du sable !
A la différence de l'accident de Fukushima, lors du tristement célèbre accident de Tchernobyl, le corium a été en partie fragmenté par l'explosion et dispersé à de nombreux endroits. Les autorités Ukrainiennes ont réussi à ralentir fortement la progression du corium principal en le neutralisant avec du sable, du bore et d'autres éléments neutrophages ; Il faut savoir que même à ce jour, plus de 25 ans après l'accident, le combustible fondu dans le réacteur n°. 4 de Tchernobyl est toujours chaud, très radioactif et qu'il lui arrive parfois même à ce jour de se réactiver par reprise de criticité, des "bouffées critiques"...
Les liquidateurs Russes avaient toutefois anticipé la poursuite de la progression infernale du corium et creusé un tunnel sous le monstre afin de tenter de le dominer avant qu'il atteigne un élément liquide ; Les scientifiques craignaient en effet que la rencontre d'un élément très chaud avec une masse liquide ne provoque une réaction très violente.
Heureusement le corium s'est arrêté avant que cette expérience ne soit vérifiée et le célèbre "pied d'éléphant" a ainsi pu être observé - de loin - peu après la "victoire" des liquidateurs :
Elephant Foot Chernobyl
Le corium à Fukushima, un avenir très incertain...
L'accident de Fukushima n'est pas terminé à ce jour (juillet 2011), la situation et la condition du corium ne sont pas connues avec certitude ; Une partie du combustible est probablement restée "coincée" en cuve et partiellement refroidie par les milliers de tonnes d'eau déversées depuis l'accident et dont une bonne partie s'est d'ailleurs retrouvée plus ou moins coincée dans des sous-sols à l'étanchéité incertaine...
La majeure partie du corium se trouve donc sans doute quelque part entre le confinement (le radier en béton) et la roche sédimentaire moyennement résistante se trouvant sous la dalle de Fukushima Daiichi. Sa localisation, sa température, sa vitesse éventuelle sont soit parfaitement inconnues à ce jour, soit approximativement estimées par l'opérateur et les autorités Japonaises mais de toute façon parfaitement intouchables.
Les autorités Japonaises ont estimé récemment qu'il sera possible d'observer de plus près le combustible fondu - à la condition qu'il soit observable - d'ici une vingtaine d'années. Vertiges atomiques...
Syndrome ou pas syndrome ?
Alors, "syndrome Chinois" ou pas ? Déjà il faudrait plutôt évoquer plutôt un "syndrome Uruguayen" car le point antipodique du Japon est situé un peu au large des côtes de ce pays ; Il est d'autre part très probable que le corium créé à Fukushima ne finisse par se désactiver à moyen terme en "dépensant" son énergie qui n'est pas inépuisable (seconde loi de la thermodynamique) ou en se fragmentant peu à peu. Le gros problème reste de savoir si une partie de ces énormes masses ne rejoindront pas à plus ou moins long terme les nappes phréatiques ou encore, puisque nous sommes en zone côtière, l'affleurement de la nappe océanique qui n'atteint pas des profondeurs énormes à une distance de quelques dizaines de mètres à l'intérieur des terres.
Tchernobyl, accident "mineur" ?
Si un tel événement se produisait même très partiellement, l'ile du Japon serait probablement bien plus affectée qu'elle ne l'est en ce moment avec un phénomène de contamination importante et à grand échelle des eaux souterraines et / ou océaniques, une première dans l'histoire de l'atome.
Terminons en évoquant le constat d'impuissance des autorités Japonaises : La meilleure preuve en est que la "feuille de route" de l'opérateur pour la "reprise de contrôle" du site accidenté ne fasse aucune mention d'une quelconque "fuite" possible du combustible... Dans un site dévasté, troué et transpercé de partout ! Il est maintenant trop tard pour intervenir sur la situation, les dés sont lancés, le corium vit sa vie propre et il reste juste à souhaiter beaucoup de courage à l'admirable peuple Japonais.
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