Ce genre de réaction commence à fleurir un peu partout : de l'article de Marianne évoqué avant-hier en passant par les critiques féroces de l'ancien directeur de l'Asahi Shimbun Yoichi Funabachi, aux déclarations du prix Nobel de littérature Kenzaburo Oé effectuées hier lors du 32ème salon du livre Parisien, le monde commence à peine à prendre conscience de l’étendue du désastre de Fukushima-Daiichi et, entres autres, de la manière dont la crise nucléaire a été et est encore gérée par les autorités Japonaises.
Un gouvernement, quel qu’il soit, ne peut traiter un accident nucléaire comme aucun autre type de situation accidentelle
On disait la démocratie Japonaise évoluée - même si ce terme est imprécis -, ou plus précisément d'évolution rapide compte tenu de sa jeunesse relative ; dans le classement The Economist effectué en 2010, ce pays figurait d'ailleurs à la 22ème place, largement devant... la France classée en 31ème position. Vlan, patatras, cette démocratie "avancée" vient probablement, confrontée au cauchemar de toute démocratie - une crise nucléaire majeure -, de régresser de quelques dizaines de places.
Malgré toutes les déclarations initiales pourtant assénées à grands coups de médias et "d'autorités" nucléaires diverses et variées, il commence à devenir de plus en plus clair que le Japon n'a pas géré la catastrophe avec spontanéité et efficacité. Nous vous avons souvent évoqué les premières heures - pourtant décisives - de la gestion de la crise nucléaire en cours de développement. Pour mémoire, rappelons-en quelques traits :
- Indécision prolongée des plus hautes autorités nationales
- Aveuglement des autorités locales et régionales
- Manque de maturité et faiblesse des autorités internationales
- Manque d'entraide et d'assistance internationale (pas de demande, pas d'offre)
- Manque de communication à tous les niveaux et principalement vers la population
- Faiblesse ou non-sens des mesures sanitaires (les pastilles d'iode restées dans les armoires sont un excellent exemple)
- Procrastination évidente de l'opérateur
- Non-prise de conscience d'un l'emballement nucléaire pourtant évident
- Sentiment de "toute-puissance" des techniciens et scientifiques locaux
Tous responsables, aucun responsable...
Il aurait pourtant suffi que le gouvernement Japonais remplisse son rôle : gouverner s'apprécie toujours en temps de crise et il faut hélas reconnaître que M. Kan n'a pas été à la hauteur des événements. Personne n'a voulu endosser le costume de "chef" dans cette crise, personne n'a voulu prendre ses responsabilités, chacun a fait semblant de regarder ailleurs. Prenons un exemple : M. Kan décide de se rendre le 12 mars en hélicoptère à Fukushima-Daiichi afin de tenter d'appréhender la situation et agir directement sur les responsables de Tepco, d'après lui, complétement "le nez dans le guidon", autrement dit incapables de se relever pour communiquer, ne serait-ce que quelques instants. Que se serait-il passé si le site avait explosé lors de sa visite ? (1) Sur le plan stratégique, cette décision vaut zéro pointé : M. Kan n'aurait pas dû se déplacer car il aurait dû avoir ces informations sans avoir à le faire. Est-ce la faute du soldat si le général se trouve soudain privé de renseignements ?
Une société Japonaise immature, reflet de sa démocratie
Traitant de la société Japonaise trop fortement imbriquée, Yoicihi Funabachi (2) n'a pas mâché ses mots : "La crise de Fukushima-Daiichi a surtout révélé l'immaturité de la démocratie Japonaise et les failles du système de gouvernement." Les bases de la citadelle Japonaise sont fragiles, artificielles pourrions nous-dire. L'ensemble est aussi reluisant que peut l'être un Tartarin dès qu'il se trouve confronté à un "vrai" lion : la débâcle n'est pas loin.
La crise de Fukushima cristallise la fragilité du Japon
"Serons-nous capables de réagir ou resterons-nous silencieux ?" Telle est la question posée par le prix Nobel Oé (3) à l'occasion de la conférence sur le Japon organisée au salon du livre de Paris, le 17 mars. Évoquant la collusion globalisée du bloc électronucléaire, M. Oé déclare encore : "Le plus désespérant pour moi est la conspiration du silence menée par les compagnies d’électricité, des administrations, du gouvernement et des médias pour cacher les dangers [du nucléaire]." Depuis mars 2011 ont été révélés tant de mensonges, il y en aura probablement d'autres... La révélation de cette complicité des élites pour dissimuler la vérité me bouleverse ; sommes-nous un peuple aussi facile à berner ?"
Kenzaburo Oe appelle à l'arrêt de toutes les centrales nucléaires et en fait la priorité de son activité de citoyen aussi bien que de son travail littéraire.
"La conspiration du silence par Kenzaburi Oe" blog flanerie quotidienne, 16/3
Fuksuhima, symptôme des failles de la démocratie Japonaise, Marianne2, 12/3
(1) Le réacteur n°. 1 explosait quelques heures après le départ de M. Kan
(2) Rédacteur en chef du deuxième quotidien Japonais Asahi Shimbun de 2007 à 2010
(3) Prix Nobel de littérature en 1994
Un gouvernement, quel qu’il soit, ne peut traiter un accident nucléaire comme aucun autre type de situation accidentelle
On disait la démocratie Japonaise évoluée - même si ce terme est imprécis -, ou plus précisément d'évolution rapide compte tenu de sa jeunesse relative ; dans le classement The Economist effectué en 2010, ce pays figurait d'ailleurs à la 22ème place, largement devant... la France classée en 31ème position. Vlan, patatras, cette démocratie "avancée" vient probablement, confrontée au cauchemar de toute démocratie - une crise nucléaire majeure -, de régresser de quelques dizaines de places.
Malgré toutes les déclarations initiales pourtant assénées à grands coups de médias et "d'autorités" nucléaires diverses et variées, il commence à devenir de plus en plus clair que le Japon n'a pas géré la catastrophe avec spontanéité et efficacité. Nous vous avons souvent évoqué les premières heures - pourtant décisives - de la gestion de la crise nucléaire en cours de développement. Pour mémoire, rappelons-en quelques traits :
- Indécision prolongée des plus hautes autorités nationales
- Aveuglement des autorités locales et régionales
- Manque de maturité et faiblesse des autorités internationales
- Manque d'entraide et d'assistance internationale (pas de demande, pas d'offre)
- Manque de communication à tous les niveaux et principalement vers la population
- Faiblesse ou non-sens des mesures sanitaires (les pastilles d'iode restées dans les armoires sont un excellent exemple)
- Procrastination évidente de l'opérateur
- Non-prise de conscience d'un l'emballement nucléaire pourtant évident
- Sentiment de "toute-puissance" des techniciens et scientifiques locaux
Tous responsables, aucun responsable...
Il aurait pourtant suffi que le gouvernement Japonais remplisse son rôle : gouverner s'apprécie toujours en temps de crise et il faut hélas reconnaître que M. Kan n'a pas été à la hauteur des événements. Personne n'a voulu endosser le costume de "chef" dans cette crise, personne n'a voulu prendre ses responsabilités, chacun a fait semblant de regarder ailleurs. Prenons un exemple : M. Kan décide de se rendre le 12 mars en hélicoptère à Fukushima-Daiichi afin de tenter d'appréhender la situation et agir directement sur les responsables de Tepco, d'après lui, complétement "le nez dans le guidon", autrement dit incapables de se relever pour communiquer, ne serait-ce que quelques instants. Que se serait-il passé si le site avait explosé lors de sa visite ? (1) Sur le plan stratégique, cette décision vaut zéro pointé : M. Kan n'aurait pas dû se déplacer car il aurait dû avoir ces informations sans avoir à le faire. Est-ce la faute du soldat si le général se trouve soudain privé de renseignements ?
Une société Japonaise immature, reflet de sa démocratie
Traitant de la société Japonaise trop fortement imbriquée, Yoicihi Funabachi (2) n'a pas mâché ses mots : "La crise de Fukushima-Daiichi a surtout révélé l'immaturité de la démocratie Japonaise et les failles du système de gouvernement." Les bases de la citadelle Japonaise sont fragiles, artificielles pourrions nous-dire. L'ensemble est aussi reluisant que peut l'être un Tartarin dès qu'il se trouve confronté à un "vrai" lion : la débâcle n'est pas loin.
La crise de Fukushima cristallise la fragilité du Japon
"Serons-nous capables de réagir ou resterons-nous silencieux ?" Telle est la question posée par le prix Nobel Oé (3) à l'occasion de la conférence sur le Japon organisée au salon du livre de Paris, le 17 mars. Évoquant la collusion globalisée du bloc électronucléaire, M. Oé déclare encore : "Le plus désespérant pour moi est la conspiration du silence menée par les compagnies d’électricité, des administrations, du gouvernement et des médias pour cacher les dangers [du nucléaire]." Depuis mars 2011 ont été révélés tant de mensonges, il y en aura probablement d'autres... La révélation de cette complicité des élites pour dissimuler la vérité me bouleverse ; sommes-nous un peuple aussi facile à berner ?"
Kenzaburo Oe appelle à l'arrêt de toutes les centrales nucléaires et en fait la priorité de son activité de citoyen aussi bien que de son travail littéraire.
"La conspiration du silence par Kenzaburi Oe" blog flanerie quotidienne, 16/3
Fuksuhima, symptôme des failles de la démocratie Japonaise, Marianne2, 12/3
(1) Le réacteur n°. 1 explosait quelques heures après le départ de M. Kan
(2) Rédacteur en chef du deuxième quotidien Japonais Asahi Shimbun de 2007 à 2010
(3) Prix Nobel de littérature en 1994
Je poursuis le brillant inventaire des defaillances du pays, notamment pour tout ce qui concerne l'incrustation de la crise dans la societe :
- aveuglement du mythe de la surete du nucleaire en trois etapes : 60s on dit que c'est sur et on sait que c'est un mensonge, 80s on repete que c'est sur comme on nous l'a dit auparavant en ayant vaguement conscience que ce n'est peut-etre pas le cas, 2000s on garantit que c'est sur et ceux qui disent le contraire sont des idiots reactionnaires.
- Gestion des debris du tsunami. Ce point est extremement important et entierement deforme dans sa mediatisation au Japon, mais bientot aussi en dehors. Le ministre de l'environnement appelle toutes les municipalites du Japon a accepter les debris du tsunami pour aider a la reconstruction du Tohoku. Pourquoi faire circuler des debris potentiellements radioactifs (ils sont restes disperses dans la plaine du tohoku pendant des mois, a tous vents) et risquer de contaminer tout le pays ? Le cout est pharaonique, surtout que des villes jusqu'a Okinawa sont pretes a les incinerer... Garder les debris sur place permet de creer des milliers d'emplois dont la communaute a bien besoin apres les destructions des ports, des navires de peche, des rizieres, des usines, etc... Les raisons sont que la plupart du temps, les grands groupes charges de la gestion des dechets sont controles par les dirigeants locaux ou des gens proches (par liens familiaux ou bien liens des affaires), d'autre part les incinerateurs japonais sont parfois de toute nouvelle generation et necessitent du combustible en permanence (des dechets, donc). Et pour finir, le gouvernement s'engage a renover ou entretenir les sites utilises pour incinerer les dechets, ce qui permet a de nombreuses municipalites d'envisager de renover leurs usines a moindres frais. On peut continuer des heures, ou bien lire le blog ex-skf. Le point important, c'est que les dirigeants locaux decident ou non d'accepter des dechets, de les bruler, puis d'enterrer les cendres radioactives (faiblement ou pas, peu importe, de toute facon les centrales d'incineration ne sont pas equipees de filtres adequats) sans l'accord de leurs citoyens (on parlait de democratie...).
- redemarrage des centrales. La je pense qu'on peut oser l'oxymore de l'apogee de la chute. Seuls 2 reacteurs fonctionnent encore. 8 des 10 gouverneurs dont les prefectures hebergent des centrales nucleaires refusent le redemarrage. Le premier ministre sortant, celui-la meme qui a ete incapable de gerer la crise et qui essaie de tirer les ficelles depuis son interview BBC pour se donner une bonne image, meme lui assene qu'il faut se debarasser de tous ces reacteurs. Et le gouvernement japonais de dire que de toute facon, il se passera bien de demander au gouverneur tout le mal qu'il pense des centrales, et les relancera quoi qu'il advienne. Alors si le gouverneur n'a rien a dire, je doute de la place qu'on accordera a la voix du peuple.
- apres le lobby electronucleaire, le lobby de la decontamination. Encore quelques mois et vous verrez que les grandes entreprises specialisees dans le batiment, qui sont deja passablement coupable dans la frenesie depensiere gouvernementale des 20 dernieres annees, seront aussi specialisees dans la decontamination. Un marche juteux de plusieurs milliards d'euros, d'autant plus interessant que tant que la centrale continuera a cracher des becquerels, il faudra continuer a mettre des coups de pelles. Heureusement, ces entreprises ne sont pas a un coup tordu pres, se contentant par exemple de decontaminer autour du compteur permanent, afin que le peuple puisse baigner dans l'ignorance des radiations omnipresentes.
- la crise alimentaire. Dans un pays qui est completement dependant de l'exterieur pour son alimentation, le gouvernement decide que maintenant est le meilleur moment pour relancer l'autosuffisance alimentaire. Des millions sont depenses en couteuses campagnes de publicites franchement douteuses, ou l'on recrute un groupe de jeunes mercenaires melomanes par-ci, une troupe de miss campus par-la, et on leur fait manger des delices de la-bas, pour que tout le monde fasse pareil. Et puis, a l'autre bout de l'echelle, on dit a ces moutons d'eleveurs (et pas le contraire) de continuer a planter du riz. A posteriori, l'explication du gouvernement : meme si c'est radioactif, et que le riz ne pourra pas etre consomme, ca occupe l'agriculteur... Si ce n'est pas criminel
A suivre, n'hesitez pas a completer...
Rédigé par : JAnonymous | 19/03/2012 à 01:08
@ JAnonymous : merci pour cet éclairage, un petit billet reprendra prochainement les constatations pertinentes de M. Nobuyoshi au niveau du point de mesure d'Idate-Mura.
Cordialement,
Trifou
Rédigé par : trifouillax | 19/03/2012 à 21:48