Tout d’abord, procédons à un petit test : selon vous, combien de Japonais sont encore actuellement concernés par le “zonage” de Fukushima-Daiichi ?
Nous vous communiquerons la réponse demain avec la seconde partie du billet. Donc, seriez-vous capable de donner à brule-pourpoint une estimation même très sommaire du nombre de Japonais qui ont été évacués suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi et qui sont toujours relogés loin de leur habitation d’origine ? Pensez-vous qu’il soient encore 5000, 10.000, 25.000, 50.000, 75.000 ? Nous vous aidons un peu : le Japon est l’un des pays du monde qui détient le record de la densité de population avec 340 habitants au Km2 en moyenne ; il faut savoir qu’en outre la population Japonaise se concentre beaucoup plus sur la côte Est où la densité atteint parfois 1500 habitants au km2 (1), comme dans la mégalopole Pacifique du “Japon de l’endroit”, une mince bande de territoire de 30 km de large sur 1300 km de long s’étendant de Fukuoka au Sud-Ouest au Nord du district de Kanto (Iwaki) en passant bien sûr par la baie de Tokyo.
La région touchée par la catastrophe affiche quant à elle une densité d’environ 150 habitants au km2, comparable à celle d’un département français moyennement peuplé comme celui de la Gironde ou du Vaucluse. Evidemment, les grandes agglomérations comme celle de Fukushima (300.000 habitants, 60 km au N/O de FD) et ou de Koriyama (340.000 habitants, 55 km à L’ouest de FD) auraient posé d’énormes problèmes d’évacuation et de relocation si elles avaient du se voir concernées par des mesures de zonage étendues.
Trop tard, beaucoup trop tard…
Les habitants de l’agglomération d’Itate, petite ville de 6000 habitants située à 40 Km au Nord-Est de la centrale dévastée sont en colère : leur ville a été non seulement évacuée très tardivement (en mai/juin 2011), mais – de manière peut-être encore plus nette que pour les évacuations initiales – les maigres informations qui leurs ont été transmises par les autorités ne leur permettaient pas de se projeter dans l’éventualité d’un retour.
“Ils ont osé nous jurer que les centrales étaient absolument sures !”
Ce qui est terrible c’est qu'en France par exemple, à défaut d’éviter une telle catastrophe – ou seulement avec des rodomontades, comme à Fukushima – une opération de la taille de celle de l’évacuation Japonaise aurait probablement induit un minimum de mesures d’accompagnement : cellules “d’accompagnement”, aides et soutiens psychologiques… Mais au Japon, rien de tout ceci : les habitants sont traditionnellement censés être assez “résistants” pour endurer les pires situations sans broncher ni se plaindre ; or, ces habitants déplacés ont “malgré tout” vécu des émotions et des souffrances qu’ils n’ont pas été autorisés à extérioriser ; résultat : des problèmes psychologiques qui s’additionnent dorénavant aux problématiques de contamination…
Une femme qui ne peut retenir ses sanglots : plus d’une année après ce qu’il faut bien appeler une évacuation ratée (2), elle évoque la triple faillite de cette opération : psychologique, physique et financière. Initialement, les habitants d’Itate étaient situés bien au-delà de la zone d’exclusion de 20 km, ils pensaient donc – de la même manière erronée qu’ils croyaient le site nucléaire sans danger – n’être absolument pas concernés par la radioactivité. Hélas, les frontières officielles de la contamination se sont avérées toutes aussi relatives que celles de 1986, les autorités ont donc du rétropédaler bien tardivement pour finir par ordonner l’évacuation du village, plus de deux mois après sa contamination initiale. Cette évacuation a été achevée à la fin du mois de juin 2011.
Des habitants qui n’ont même pas été confinés durant plus de deux mois alors qu’il séjournaient dans une zone extrêmement contaminée : de 50 à 500 KBq/kg de radio-césium avec au moins deux zones à plus de 500 kBq/kg au Sud du village.
Certains habitants d’Itate sont néanmoins - par obligation ou par dépit - restés sur place
Le Kannushi (prêtre) du sanctuaire Shinto d’Itate arbore la tenue masculine Japonaise traditionnelle : hakama magnifiquement brodé (3) et do-gi (4). Malgré un sol fortement contaminé “la mousse fait 8 ou 9” (µSv/h ?), le prêtre n’a pas quitté son sanctuaire d’Itate. Il évoque devant la caméra certaines autres personnes, très âgées, invalides, dépressives, qui ont fait comme lui et ont refusé de quitter leurs habitations. Ces “réfugiés immobiles” ont vu disparaitre autour d’eux les commerces, les administrations, les voisins, les amis… les fidèles dans le cas de notre ami, qui n’abandonnera pour autant pas son sanctuaire. Il fait partie des “30 d’Itate”, 30 habitants qui resteront sur place, quoiqu’il arrive.
Les autorités n’ont pas communiqué les données de contamination disponibles par “peur d’une panique générale”
De manière complètement irrationnelle, les autorités Japonaises n’ont initialement pas voulu prendre en compte la gravité réelle de la situation radiologique engendrée par la catastrophe de Fukushima-Daiichi en refusant par exemple d’admettre que la contamination s’était étendue bien au-delà du cercle imaginaire de 20 km tracé autour de la centrale. Ce détail est évoqué ouvertement par le prêtre : “s’ils [les autorités] ne nous ont pas évacués alors que les niveaux [de radioactivité] étaient les plus élevés, alors pourquoi le faire maintenant [en juin 2011] ? … tous les habitants sont en colère à cause du manque de communication.”
“Ils nous ont dit que ce n’était pas comme Tchernobyl, mais que va t-il arriver à ces enfants [irradiés] ?”
Une autre habitante d’Itate pensait au moment de l’évacuation aux enfants qui ont vécu deux mois dans cette zone, au milieu d’une contamination et d’une irradiation constantes : “Mais que va t-il leur arriver ?” demandait-elle alors.
“Nous pourrons nous remettre du séisme et du tsunami…”
Cette déclaration du Kannushi d’Itate évoque bien la gravité de la crise nucléaire qui pourrait sembler - a priori - secondaire par rapport aux autres facettes de la catastrophe mais dont l’acuité va s’aggraver au fil des années. Sans même évoquer une probable crise sanitaire “à la Tchernobyl” que la majorité des médias et la plupart des scientifiques tenteront probablement de minimiser – le travail a déjà commencé – il est évident que la situation des déplacés et des “réfugiés immobiles” va sérieusement se compliquer au fil des années.
“Mon fils aurait du travailler ici, avec moi, mais il travaille maintenant dans un autre temple”
Le prêtre pense aux effets à long terme que les radiations pourraient provoquer sur son fils aussi ce dernier ne l’assiste plus dans les tâches journalières liées au sanctuaire ; notre ami évoque d’ailleurs en fin d’entretien la pire des punitions du village : ceux qui ont un avenir ont fui Itate, et ceux qui y sont restés n’en ont plus.
Le sanctuaire Shinto d’Itate
A suivre demain pour la seconde partie du reportage “Les habitants d’Itate, une année après l’évacuation”.
(1) Hors la mégalopole Tokyoïte, 30 millions d’habitants, qui dénombre plus de 5000 habitants au km2 !
(2) L’évacuation d’Itate, effectuée en mai/juin 2011, a été le fruit d’un revirement tardif du cabinet Japonais qui ne pouvait plus masquer davantage la situation d’une contamination qui s’étendait bien au-delà de la zone initiale de 20km
(3) Hakama : pantalon traditionnel ample destiné à masquer, à l’époque médiévale, les déplacements d’un samouraï lors d’un combat
(4) Gi, do-gi, keikogi, plus populairement “kimono” : haut de tenue en coton lourd et ample, destiné à faciliter le port de l’armure des guerriers
Sources :
“Les habitants d’Itate, un an plus tard”, vidéo Youtube, Yann Thomas Ash, juin 2012, Japonais avec sous-titres anglais
J'espère pouvoir bientôt proposer une version sous-titrée en Français de cette vidéo, j'attend l'accord de l'auteur.
Rédigé par : Kna | 25/06/2012 à 22:28
Merci Franck, je me doutais que tu serais sur la brèche.
Cordialement,
Trifou
Rédigé par : trifouillax | 25/06/2012 à 22:56
Cette article est comme d'habitude très intéressant. Il permet d'aborder un autre point de l'accident nucléaire: le coût , car contrairement à la France la responsabilité de l'exploitant, est illimitée au Japon. Dix millions d'euros d'indemnisation viennent d'être accordé par un tribunal pour une erreur médicale en France , combien pour un accident nucléaire ?
( Prix du m2 construit + Prix du m2 agricole + perte d'exploitation + suivi médical + soins + capital décès ) X ( zone concernée + nombre d'habitants )= ruine de l'exploitant et du pays (dans le cas bien sur ou la loi serait respectée ce qui n'est pas le cas pour le moment au Japon ) http://www.scoop.it/t/fukushima-informations/p/2040777113/l-assurance-du-risque-nucleaire
Rédigé par : ETIENNE SERVANT | 26/06/2012 à 10:49