Le yomiuri shimbun du 27 mai, traduit du Japonais par ex-skf, informe que Tepco va procéder - ou a déjà procédé - au retrait expérimental de deux assemblages de combustible "neufs" de la piscine de l'unité n°. 4 de Fukushima-Daiichi.
Deux mots d'explication sur le combustible stocké dans une piscine de désactivation (SFP)
Le combustible neuf, jamais irradié, est relativement peu dangereux car il n'a pas été "activé" au contact de la fission. S'il n'a pas été exposé à l'irradiation en réacteur, il ne contient pas de produits de fissions et d'activations qui sont engendrés au fil de l'exposition à la réaction nucléaire. Plus le combustible est irradié longtemps, plus les assemblages de combustibles sont "chauds" simplement parce qu'ils deviennent alors très radioactifs ; cette réaction s'explique par le fait que les produits de fission sont extrêmement énergétiques et que plus ils sont soumis à l'irradiation, plus ils s'accumulent dans les pastilles de combustible en lieu et place d'une masse équivalente de combustible irradié.
Un patchwork de combustibles
Il est donc possible d'avoir dans une piscine de désactivation plusieurs "strates" de combustible, plus ou moins irradiées, stockées depuis plus ou moins longtemps ; afin de s'y retrouver l'opérateur gère un schéma de la piscine affichant ces données regroupées sous la forme d'une "puissance résiduelle". Ainsi, le combustible le plus chaud sera celui qui viendra juste d'être retiré du cœur après un cycle d'irradiation complète (1).
Le schéma ci-dessous représente la situation dans la piscine SFP4 telle qu'elle a été estimée par la NRC américaine en mai 2011 ; nous avons vu précédemment que certaines données semblaient incorrectes ou incomplètes mais la présentation et le détail du suivi des assemblages entreposés en piscine n'en est pas moins intéressant.
Le Burnup ou taux d'irradiation / combustion en réacteur
Le degré de combustion - ou d'exposition - du combustible est indiqué par le taux de Burnup, exprimé en GWj/t (GigaWatt jour par tonne de combustible) ; le combustible neuf est ainsi "brûlé" à 0 GWj/t alors que le combustible totalement irradié (cycle complet de 4 ans) verra son Burnup grimper à environ 40 GWt/j (2). Cette donnée est généralement assez confidentielle, Tepco n'a pas communiqué - à notre connaissance - les détails du Burnup pour la SFP4 aussi nous ne pouvons évoquer que des estimations de taux de combustion.
La puissance thermique résiduelle en piscine
Si le Burnup permet de définir la chaleur du combustible au moment ou il est déchargé du cœur, le temps passé en piscine fait diminuer ces dégagements thermiques par la décroissance radioactive des produits de fission. Plus le Burnup initial est important, plus les assemblages devront "tremper" longtemps. La puissance résiduelle d'un assemblage est indiquée en kW "thermiques", il s'agit simplement de la quantité de chaleur encore dégagée par les produits de fission au sein des pastilles de combustible.
Plusieurs années de désactivation en piscine pour refroidir les assemblages irradiés
Un assemblage de combustible totalement irradié (40 GWt/j) et qui vient d'être déchargé du cœur pour être placé en piscine présentera une radioactivité et une chaleur maximales estimées par Tepco à environ 3.6 kW (rouge), alors qu'un combustible neuf ou fortement irradié mais placé en piscine depuis très longtemps (5 à 10 ans) présentera un dégagement de puissance calorifique négligeable (bleu, 0.16 kW).
Si les 1500 assemblages contenus dans la piscine n°. 4 étaient "rouges", la puissance thermique instantanée a évacuer serait de 1500 * 0.0036 MW soit 5.4 MW ; une piscine bien "rouge" comme celle présentée sur le schéma NRC passerait en phase d'ébullition après environ une journée de panne de refroidissement !
Du combustible "neuf", vraiment ?
Nos aimables lecteurs se rappelleront que le cœur du réacteur n°. 4 de Fukushima-Daiichi avait été déchargé en novembre 2010 afin de procéder à un échange de shroud, un blindage entourant le cœur du réacteur, qui avait manifestement des problèmes (3). Nous ignorons à quelle date remontait le dernier rechargement partiel de l'unité n°. 4 mais on peut logiquement assumer que le dernier combustible chargé n'était pas "neuf", puisqu'une opération de maintenance non planifiée avait été lancée (4).
Sur le schéma patchwork ci-dessus, on notera d'ailleurs que bizarrement, seuls une quinzaine d'assemblages affichent la puissance résiduelle la plus faible (0.16 kW) ce qui, ajouté à des incompatibilités avec les vidéos d'exploration de la SFP4, confirment notre hypothèse que le schéma NRC est incorrect.
L'article du yomiuri indique que Tepco tentera d'extirper deux assemblages de combustible "neufs" de la piscine n°. 4 ; nous dirions plutôt que Tepco va tenter de décharger le combustible le moins "chaud", celui qui présentera la puissance calorifique résiduelle la plus faible (bleu) ET qui ne soit pas recouvert de l'un des très nombreux débris du bâtiment n°. 4 qui sont tombés sur le haut des assemblages.
Une expérience délicate voire dangereuse ?
Même si Tepco s'entoure d'un luxe de précautions pour l'expérience, un certain nombre de points attirent notre attention :
- Le déchargement s'effectuera probablement à l'aide d'une grue auxiliaire et non de la machine de chargement qui aurait été démontée au printemps (5) ?
- Les assemblages doivent d'abord être déverrouillés à l'aide d'un crochet spécial fixé sur le bras de la MCC
- Le geste de retrait doit être effectué de manière lente et très précise (la MCC est un outil très complexe et délicat)
- Même si les assemblages sélectionnés sont très probablement intacts et peu dangereux en cas de problème, les paniers-supports peuvent être endommagés, vrillés, inclinés...
Le pire des scénarios envisageable serait une nouvelle détérioration des paniers, des assemblages de combustible ou pire de la structure de la piscine à la suite d'une manipulation hasardeuse ; pour tout dire le rapport intérêt / risque de l'opération nous semble en fait assez déséquilibré.
(1) Environ 4 années, le combustible est généralement échangé par quarts chaque année
(2) Pour un combustible UO2 "standard" enrichi à 5%
(3) Le Core Shroud est une pièce apparemment fragile sur les réacteurs à eau bouillante
(4) Les maintenances planifiées sont souvent regroupées avec un rechargement pour minimiser les délais d'indisponibilité des unités de production
(5) Il nous semble toutefois apercevoir une couleur vert pâle familière sur la photo ci-dessus, le fantôme d'une MCC sans doute ?
Sources :
ex-skf, 27 mai, anglais
Yomiuri, 27 mai, Japonais
SPF4 heatup map, USNRC, p.188 (26 mai 2011)
Le credit burnup, IRSN
Lire également :
Une criticité dans une piscine ? Partie I, II et III, gen4, mai 2012
Deux mots d'explication sur le combustible stocké dans une piscine de désactivation (SFP)
Le combustible neuf, jamais irradié, est relativement peu dangereux car il n'a pas été "activé" au contact de la fission. S'il n'a pas été exposé à l'irradiation en réacteur, il ne contient pas de produits de fissions et d'activations qui sont engendrés au fil de l'exposition à la réaction nucléaire. Plus le combustible est irradié longtemps, plus les assemblages de combustibles sont "chauds" simplement parce qu'ils deviennent alors très radioactifs ; cette réaction s'explique par le fait que les produits de fission sont extrêmement énergétiques et que plus ils sont soumis à l'irradiation, plus ils s'accumulent dans les pastilles de combustible en lieu et place d'une masse équivalente de combustible irradié.
Un patchwork de combustibles
Il est donc possible d'avoir dans une piscine de désactivation plusieurs "strates" de combustible, plus ou moins irradiées, stockées depuis plus ou moins longtemps ; afin de s'y retrouver l'opérateur gère un schéma de la piscine affichant ces données regroupées sous la forme d'une "puissance résiduelle". Ainsi, le combustible le plus chaud sera celui qui viendra juste d'être retiré du cœur après un cycle d'irradiation complète (1).
Le schéma ci-dessous représente la situation dans la piscine SFP4 telle qu'elle a été estimée par la NRC américaine en mai 2011 ; nous avons vu précédemment que certaines données semblaient incorrectes ou incomplètes mais la présentation et le détail du suivi des assemblages entreposés en piscine n'en est pas moins intéressant.
Schéma de puissance résiduelle de la SFP4 (NRC, mai 2011, p.188)
Le Burnup ou taux d'irradiation / combustion en réacteur
Le degré de combustion - ou d'exposition - du combustible est indiqué par le taux de Burnup, exprimé en GWj/t (GigaWatt jour par tonne de combustible) ; le combustible neuf est ainsi "brûlé" à 0 GWj/t alors que le combustible totalement irradié (cycle complet de 4 ans) verra son Burnup grimper à environ 40 GWt/j (2). Cette donnée est généralement assez confidentielle, Tepco n'a pas communiqué - à notre connaissance - les détails du Burnup pour la SFP4 aussi nous ne pouvons évoquer que des estimations de taux de combustion.
La puissance thermique résiduelle en piscine
Si le Burnup permet de définir la chaleur du combustible au moment ou il est déchargé du cœur, le temps passé en piscine fait diminuer ces dégagements thermiques par la décroissance radioactive des produits de fission. Plus le Burnup initial est important, plus les assemblages devront "tremper" longtemps. La puissance résiduelle d'un assemblage est indiquée en kW "thermiques", il s'agit simplement de la quantité de chaleur encore dégagée par les produits de fission au sein des pastilles de combustible.
Plusieurs années de désactivation en piscine pour refroidir les assemblages irradiés
Un assemblage de combustible totalement irradié (40 GWt/j) et qui vient d'être déchargé du cœur pour être placé en piscine présentera une radioactivité et une chaleur maximales estimées par Tepco à environ 3.6 kW (rouge), alors qu'un combustible neuf ou fortement irradié mais placé en piscine depuis très longtemps (5 à 10 ans) présentera un dégagement de puissance calorifique négligeable (bleu, 0.16 kW).
Si les 1500 assemblages contenus dans la piscine n°. 4 étaient "rouges", la puissance thermique instantanée a évacuer serait de 1500 * 0.0036 MW soit 5.4 MW ; une piscine bien "rouge" comme celle présentée sur le schéma NRC passerait en phase d'ébullition après environ une journée de panne de refroidissement !
Du combustible "neuf", vraiment ?
Nos aimables lecteurs se rappelleront que le cœur du réacteur n°. 4 de Fukushima-Daiichi avait été déchargé en novembre 2010 afin de procéder à un échange de shroud, un blindage entourant le cœur du réacteur, qui avait manifestement des problèmes (3). Nous ignorons à quelle date remontait le dernier rechargement partiel de l'unité n°. 4 mais on peut logiquement assumer que le dernier combustible chargé n'était pas "neuf", puisqu'une opération de maintenance non planifiée avait été lancée (4).
Sur le schéma patchwork ci-dessus, on notera d'ailleurs que bizarrement, seuls une quinzaine d'assemblages affichent la puissance résiduelle la plus faible (0.16 kW) ce qui, ajouté à des incompatibilités avec les vidéos d'exploration de la SFP4, confirment notre hypothèse que le schéma NRC est incorrect.
L'article du yomiuri indique que Tepco tentera d'extirper deux assemblages de combustible "neufs" de la piscine n°. 4 ; nous dirions plutôt que Tepco va tenter de décharger le combustible le moins "chaud", celui qui présentera la puissance calorifique résiduelle la plus faible (bleu) ET qui ne soit pas recouvert de l'un des très nombreux débris du bâtiment n°. 4 qui sont tombés sur le haut des assemblages.
Le relevé des "débris" tombés dans la SFP4 (Tepco / Hitachi, p. 98, Japonais)
Une expérience délicate voire dangereuse ?
Même si Tepco s'entoure d'un luxe de précautions pour l'expérience, un certain nombre de points attirent notre attention :
- Le déchargement s'effectuera probablement à l'aide d'une grue auxiliaire et non de la machine de chargement qui aurait été démontée au printemps (5) ?
- Les assemblages doivent d'abord être déverrouillés à l'aide d'un crochet spécial fixé sur le bras de la MCC
- Le geste de retrait doit être effectué de manière lente et très précise (la MCC est un outil très complexe et délicat)
- Même si les assemblages sélectionnés sont très probablement intacts et peu dangereux en cas de problème, les paniers-supports peuvent être endommagés, vrillés, inclinés...
Le pire des scénarios envisageable serait une nouvelle détérioration des paniers, des assemblages de combustible ou pire de la structure de la piscine à la suite d'une manipulation hasardeuse ; pour tout dire le rapport intérêt / risque de l'opération nous semble en fait assez déséquilibré.
(1) Environ 4 années, le combustible est généralement échangé par quarts chaque année
(2) Pour un combustible UO2 "standard" enrichi à 5%
(3) Le Core Shroud est une pièce apparemment fragile sur les réacteurs à eau bouillante
(4) Les maintenances planifiées sont souvent regroupées avec un rechargement pour minimiser les délais d'indisponibilité des unités de production
(5) Il nous semble toutefois apercevoir une couleur vert pâle familière sur la photo ci-dessus, le fantôme d'une MCC sans doute ?
Sources :
ex-skf, 27 mai, anglais
Yomiuri, 27 mai, Japonais
SPF4 heatup map, USNRC, p.188 (26 mai 2011)
Le credit burnup, IRSN
Lire également :
Une criticité dans une piscine ? Partie I, II et III, gen4, mai 2012
Je pense au contraire qu'un retrait rapide du combustible est indispensable, en cas de fêlure importante de la piscine la situation pourrait devenir ingérable. Des essais sont indispensables, le système d'origine n'étant plus en état. Les essais pourraient être tentés avec dummies, des assemblages vides, dans une zone sans assemblages, c'est peut-être ce qu'ils vont faire avant d'intervenir sur le vrai combustible.
Rédigé par : HP | 31/05/2012 à 00:29
Bonjour HP,
Non a priori l'expérience sera directement effectuée sur des assemblages "neufs" dans le panier n°. 26 (cf. le nouveau billet de ce jour).
Rédigé par : trifouillax | 02/06/2012 à 14:39
Même si le combustible n'est pas irradié donc ne contient pas de produits de fission et d'activation, n'oublions pas qu'il a trempé un sacré bon moment dans une eau bien chargée en radionucléides divers et variés ; les gaines et les supports sont donc probablement bien imprégnés. Vu que l'opérateur va bien utiliser une grue "standard" pour l'opération (je publierais le billet avec le lien demain) j'espère que tout se passera bien car dès que le "machin" sera sorti de l'eau, je suis persuadé que ce sera "chaud devant !".
Cordialement,
Trifou
Rédigé par : trifouillax | 02/06/2012 à 19:20