L'accident de Tchernobyl nous apprend beaucoup, mais à quel prix !
EDIT du 12/12/11 Il semble que l'article de "Wired" sur lequel ce papier est basé ne fasse pas l'unanimité dans la communauté scientifique et ait provoqué de nombreuses réactions dont quelques-unes de la part de l'équipe de Direction de l'étude scientifique originale. Il faut noter que cet article (wired.com) a déjà été modifié une fois suite à une mise au point de Tim Jannik du 28/12/11 ; un commentaire de la même époque effectué par le Dr. Yuriv Adronov, chef du service de radiologie environnementale Ukrainien évoque d'ailleurs le 25/12/09 un malentendu et la création d'un "mythe sur Tchernobyl" postérieur à la publication de l'article de la revue wired science. Le Dr. Adronov insiste d'ailleurs sur le fait que l'étude scientifique concernée ne se préoccupe pas de la demi-vie radiologique du Césium-137 mais seulement de sa demi-vie "écologique" - je n'aime pas la juxtaposition de ces deux substantifs mais passons - et vise uniquement à étudier la migration de ce radionucléide dans la sol, sa vitesse de progression verticale depuis la surface en quelque sorte, la partie décroissance radioactive étant une constante périodique de 30.17 années.
Ceci étant spécifié il faut ajouter que les affirmations de Tim Jannik, un autre scientifique de l'équipe travaillant au SRNL de Savannah, restent valides ; aussi quand ce dernier affirme que : "Normalement la situation devrait être deux fois moins pire au bout de 30 ans mais que manifestement ce n'est pas le cas" ou encore : "La situation est telle qu'elles [les autorités Ukrainiennes] devront attendre plus longtemps avant de réintroduire les populations dans la zone" Il n'y a aucune ambiguïté dans ces déclarations de fond sur lesquelles mon propre article et mes commentaires sont basés. Notons enfin que la rédaction de "wired" n'a pas cru utile de modifier ou de supprimer l'article initial ce qui, pour une revue de vulgarisation scientifique, est assez significatif.
Le tableau de "décroissance radioactive" que j'avais donné en bas d'article est par contre, à la lumière de ces commentaires initiaux et de ceux effectués ici même par Frédéric Boutet que je remercie, manifestement inexact aussi je l'ai scindé en trois parties. L'article a également été légèrement retouché (caractères italiques) pour tenir compte de ces modifications.
Synthétisons : Les autorités Ukrainiennes pensaient que la migration verticale du Cs-137 autrement dit sa décroissance écologique aiderait sa décroissance radiologique et permettrait à la population déplacée de se réapproprier les terres évacuées en 1986 plus tôt que prévu. Si la décroissance radioactive suit le plan prévu, la "facilitation" espérée par la migration verticale (le problème Cs-137 se "déplaçant" vers le bas) ne remplit pas ses promesses. L'un dans l'autre, ce que l'on peut hypocritement appeler "décroissance écologique" et qui consiste juste, comme c'est souvent le cas pour ce qui touche aux problématiques de contamination à attendre que le problème se déplace "ailleurs", dans ce cas plus profondément dans le sol, n'est estimée faire passer la demie-vie "globale" du Césium-137 retombé dans la nature "que" de 30 ans à environ 26 ans. Ceci implique qu'en appliquant le facteur habituel de précaution d'environ 10 fois la demi-vie, les sols ne restent impropres à la réappropriation des zones évacuées pour environ 250 années.
Le texte original de l'article scientifique peut être consulté ici (merci à F. Boutet)
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L'accident de Tchernobyl nous apprend beaucoup, mais à quel prix ! Le gouvernement Ukrainien a chargé une mission scientifique de se pencher sur la question légitime suivante : Les terres perdues au profit de l'atome suite à l'accident de Tchernobyl en 1986 pourraient-elles prochainement être rendues à leur propriétaires ? Question légitimement posée car, en théorie, 25 années après l'accident, une partie des radioéléments déposés lors de la catastrophe auraient du commencer à disparaître, notamment les radionucléides affectant une période de demi-vie brève et moyenne.
Le Cesium-137 à toutes les sauces
Ce radionucléide est "intéressant" à suivre car il présente les caractéristiques suivantes : - Durée de demi-vie théorique "moyenne" de 30 années - Un des principaux produits de fission libérés lors d'un accident nucléaire majeur (environ 80 TBq libérés lors de l'accident selon l'IRSN) - Un radioélément mobile mais pas trop qui tend à se redéposer à proximité du site de l'accident et à rester confiné dans la partie supérieure du sol contaminé - Le Cs-137 est un radionucléide - théoriquement - bien connu qui sert souvent de "référence" partielle aux travaux scientifiques post-accidentels Donc en 2011, 25 années après l'explosion du réacteur n°. 4 du site de Tchernobyl, les scientifiques s'attendaient à retrouver moins de 40% de la concentration de Césium-137 mesurée peu après l'accident dans les sols de la région.
Surprise : le compte n'y est pas !
Les concentrations relevées récemment étaient plus importantes, au point qu'une partie seulement du Césium-137 semblait avoir disparu du sol contaminé au lieu des mieux que 60% prévus initialement. Comme il semblait impossible que les conditions de désintégration de ce radioélément comme des autres soient autre chose qu'une constante, les scientifiques ont émis plusieurs hypothèses pouvant tendre à comprendre ce phénomène imprévu :
- Une explication "environnementale" comme une partie de la concentration plus profonde "remontant" dans l'humus au fil des années
- Un phénomène de déplacement du césium, l'essentiel de la concentration se trouvant dans les quelques cm supérieurs du sol
- Le comportement d'autres radioéléments comme le Strontium-90 ou le Plutonium semblant "normaux", une particularité physique mal documentée du Cs-137 venant perturber les concentrations résiduelles
- D'éventuels accidents ou retombées de l'ère Soviétique mal documentés toujours possibles... [ajout gen4]
Un élément bien connu mal connu ?
Il semblerait en conséquence que les tentatives de réappropriation des terres contaminées à la suite d'un accident nucléaire majeur puissent être etardées par ce comportement "écologiquement incohérent" du Césium-137 ; cette découverte pourrait perturber encore plus les régions Japonaises touchées par l'accident de Fukushima qui semble avoir disséminé dans les zones proches du site accidenté des quantités très importantes de Cs-137.
Des régions évacuées inhabitables pour des centaines d'années ?
D'après la modélisation des équipes scientifiques ayant travaillé sur le sujet, cette nouvelle période de demi-vie "écologique" du Césium-137 serait estimée entre 180 et 320 ans, ce qui engendrerait, si les calculs se confirment, le maintien de zones inhabitables pour plus longtemps que les plans initiaux. Autant de raisons qui sembleraient modifier la politique étudiée récemment au Japon et qui aurait consisté à réintroduire assez rapidement les populations évacuées dans la zone des 20 Km autour de la centrale de Fukushima Daiichi.
Tableau (modifié le 12/12/11) du taux d'élimination du Césium-137 dans la couche superficielle des sols contaminés
Années : Demi-vie "radiologique" de 30 années - Demi-vie "écologique" de 250 années = Élimination "globale" du Cs-137
30 50% 60%
60 75% |
90 87.5% |
120 93% |
150 96% |
180 98% |
210 99% |
250 99.5% 50% Traces
500 Traces 75%
750 " 87.5%
1000 " 93%
2000 " 99%
Etude "Long-Term Dynamics of Radionuclides Vertical Migration in Soils of the Chernobyl Nuclear Power Plant Exclusion Zone” par Yu.A. Ivanov, V.A. Kashparov, S.E. Levchuk, Yu.V. Khomutinin, M.D. Bondarkov, A.M. Maximenko, E.B. Farfan, G.T. Jannik, and J.C. Marra. réalisée en 2009. A noter que dans les commentaires postés sous le billet d'origine, une personne se présentant comme l'auteur principal de l'étude aurait commenté l'interprétation initiale de l'article qui aurait été remanié peu après. L'article est bien évidemment ici présenté dans sa version finale après avoir que certaines parties du texte initial aient été corrigées. Le point crucial et qui n'est pas contestable - c'est l'essence même de l'étude scientifique : Des sols qui devraient s'assainir par migration verticale du Cs-137 et qui ne le font pas à la vitesse souhaitée.
C'est quand même superbe, sur 5 ou 6 hypothèses différentes, de choisir de retenir la plus absurde, "mystérieusement la demi-vie du césium serait devenu 250 ans", au lieu de la plus simple qui aurait été une erreur de mesure initiale.
Mais la vrai, en fait, est encore plus simple et classique : le journaliste de Wired n'a rien compris au vrai article initial et l'a interprété de manière loufoque.
Wired qui pourtant en général est d'un meilleur niveau, a cette fois-ci publié un truc complètement fauc.
Malheureusement il est trop tard pour mettre un commentaire sur l'article initial de Wired, ceux-ci sont clos.
Dans la liste, il y a quand même celui de Yuri Ivanov, l'auteur principale de l'étude, qui si on fait l'effort de lire son anglais quelque peu écorché est *atterré* par ce qu'est devenu l'interprétation de son étude entre les mains d'un journaliste aussi imaginatif que limité dans sa capacité de compréhension de celle-ci.
Et s'il lisait cet article ci en français, ça serait reparti pour un tour de plus.
Il y a aussi le commentaire de Iouli Andreev, le directeur scientifique du Soviet Nuclear Emergency Service de Chernobyl qui n'a pas sa langue dans sa poche au sujet du fait qu'un scientifique ait pu émettre des hypothèses aussi délirantes que la migration du césium vers le haut. Mais Andreev a parlé un peu vite, car en fait aucun scientifique n'a écrit quoi que ce soit d'aussi stupide.
Il y a une autre option pour tirer ceci au clair, aller lire directement l'article scientifique d'origine (merci, pas l'article journalistique de Wired) pour savoir ce qu'il dit *réellement*, d'autant qu'il a été subventionné par le gouvernement américain et est donc en libre accès pour quiconque évidemment pousse la curiosité jusqu'à aller à la source :
http://sti.srs.gov/fulltext/SRNL-STI-2009-00770.pdf
Oups ! C'est écrit noir sur blanc dans le résumé. La seule et unique surprise de l'étude est que la réduction de la quantité de Césium due à la durée de vie biologique est inférieure à celle prévue, c'est à dire que le Césium se disperse faiblement dans le sol, *mais* la réduction due à la durée de vie radiologique est parfaitement conforme aux données physiques (heureusement quand même).
Donc, la conclusion de l'article est qu'alors que le Sr90 se disperse assez vite, le Cs137 reste sur place pratiquement sans bouger, et donc la variation de l'activité en Cs137 correspond presque uniquement à la décroissance radioactive, soit 50% de réduction au bout de 30 ans, sans être accéléré par la dispersion biologique.
Je cite pour être précis : "changes in the exposure dose resulting from the soil deposited 137Cs now depend only on its radioactive decay", "les variations des doses d'exposition dues aux dépôts au sol de Cs137 dépendent maintenant juste de sa décroissance radioactive", car "the 137Cs absolute T1/2 ecol values are 3–7 times higher than its radioactive decay", "la demi-vie biologique du Cs137 est de 3 à 7 fois supérieure à sa décroissance radioactive". L'article est un peu pessimiste d'ailleurs, car même avec une durée de vie bio 7 fois supérieure à celle radioactive, on passe de 30 à 26.25 années de demi-vie effective, ce qui est déjà un progrès.
Rédigé par : jmdesp | 04/10/2011 à 21:57
Ce qui corrobore l'hypothèse de jmdesp, c'est qu'en observant les conséquences sanitaires d'une part et les chiffres officiels pour la quantité de radioactivité dégagée par l'accident d'autre part, toutes les études s'accordent pour dire que cela "ne colle pas". Soit il y a eu plus de radioactivité dégagée que ce que les autorités soviétiques ont annoncé, soit les modèles ne sont pas exacts (contamination interne mal prise en compte entre autre), et probablement les deux en même temps.
On retrouve ce phénomène de refus de dire officiellement la quantité de radioactivité dégagée au Japon.
Rédigé par : Frédéric Boutet | 05/10/2011 à 09:15
Bonjour, merci pour votre commentaire.
Voyons si j'ai bien compris en reprenant l'exemple du point n°. 2 :
Le point n°. 2 de l'étude a été contaminé au printemps 1986 et présentait initialement une activité surfacique de 79 MBq/m2 en Cs-137 (+/-3)
En théorie, 21.3 années plus tard, 39% du Cs-137 se sera décalé en Baryum-137 stable ou méta-stable (certitude) alors qu'une autre partie se sera infiltrée dans le sol : la migration verticale M (incertitude) ; ce sera en quelque sorte l'élimination d'une partie du radionucléide par le sol ; c'est ce phénomène qui est appelé demi-vie écologique dans l'étude. Il devrait donc rester dans les 5 premiers cm du sol 30.8 MBq/m2 moins ce qui s'est infiltré sous la couche de 5 cm de sol servant de référence.
En pratique, en 2007 soit 21,3 années après les relevés initiaux effectués en 1986-1987, l'équipe d'Ivanov a relevé que 90% du Cs-137 restant (30.8 MBq/m2 théoriques) étaient concentrés dans les cinq premiers centimètres de l'humus, dont presque 50% en surface (fig.1). La vélocité verticale est ainsi estimée à 0.012 cm / année d'où la déduction qu'il faudrait à ce rythme et toujours sur le point de relevé n°. 2, une moyenne de 110 années (-21/+35) avant que la moitié du Cs-137 (évidemment non désintégrée) ne soit percolée sous la couche superficielle.
Ce serait donc cette dernière migration verticale ou demi-vie écologique qui serait inférieure aux prévisions et n'améliorerait qu'assez peu la désintégration radioactive du radio-élément Cs-137.
Je note en passant que le Pu-239/240 est le plus dense mais aussi le moins percolable des 3 radionucléides suivis dans l'étude.
Dommage également que les relevés surfaciques détaillés n'apparaissent pas en pièce jointe, cela aurait aidé à la compréhension d'une étude qui reste un peu énigmatique (traductions ?) !
Merci en tout cas d'avoir pris le temps de décortiquer l'ensemble et d'avoir transmis vos remarques et suggestions.
L'article sera modifié en reprenant ces éléments si je les ai cette fois-ci bien assimilés ou à peu près.
Cordialement,
Trifou
Rédigé par : trifouillax | 05/10/2011 à 16:35
Oui Frédéric, quelque soit l'accident, c'est difficile d'avoir des chiffres d'activité exacts ! Dernier exemple en date : M. Isnard de l'IRSN qui déclarait le 12/9 que le four ayant explosé à Marcoule ne contenait que 63 KBq soit environ 500 fois moins que ce qu'il contenait en réalité.
En ce qui concerne le Japon, je peux à la rigueur comprendre que, les rejets se poursuivant (estimation de Tepco : 200 MBq/h soit 4.8 10e9 Bq/jour en septembre) il ne soit pas facile de communiquer sur des chiffres définitifs mais à Marcoule, l'incident étant "terminé", quand même...
Cordialement,
Trifou
Rédigé par : trifouillax | 05/10/2011 à 16:54